Le Dauphiné et son monnayage
Par Christian CHARLET
Cet article est extrait du catalogue de notre Vente sur Offres iNumis 39 d’octobre 2017, disponible en PDF ici]
La numismatique du Dauphiné est une numismatique passionnante car, sur plusieurs siècles, elle brasse des monnaies féodales variées (épiscopales, baronnales), des monnaies semi-royales frappées au nom des princes héritiers du royaume de France (les dauphins), enfin des monnaies royales à partir du rattachement à la France en 1456. Les ateliers monétaires du Dauphiné, réduits au seul Grenoble sous Henri IV après la fin des guerres de religion, conservèrent le privilège de pouvoir apposer sur les monnaies du Royaume les armes écartelées de France et du Dauphiné lorsqu’elles étaient frappées dans les ateliers de la Province (Grenoble, Romans, Crémieu, Montélimar puis Grenoble seul à partir du XVIIe siècle). Ce privilège fut maintenu jusqu’en 1703 avec la frappe de la série de l’écu aux insignes avec ses divisions.
En outre, elle a été bien étudiée, notamment par H. Morin en 1854 puis par Adolphe Dieudonné dans son Manuel de numismatique française, tomes II (royales, 1916) et IV (féodales, 1936). La connaissance approfondie de ces deux ouvrages de référence est indispensable à tout collectionneur de monnaies delphinales. Riche de 319 exemplaires, la présente collection est composée de 286 monnaies royales (à partir de 1456) et de 33 monnaies féodales ou semi-royales frappées avant le rattachement à la France.
Parmi les monnaies royales , il faut spécialement signaler les écus d’or de la fin du XVe siècle et du début du XVIe (Charles VIII, Louis XII et François Ier) puis la magnifique série de testons de la Renaissance frappés sous les règnes de François Ier (ci-contre lot 3050), Henri II et Charles IX. Dans cette série où sont représentés plusieurs ateliers delphinaux, le demi-teston est la pièce la plus rare.
Les quarts d’écu et les huitièmes d’écu d’argent de Henri IV sont également des pièces rares et recherchées par les collectionneurs (ci-contre lots 3149 et 3148). On notera une rare curiosité : les doubles tournois et les deniers tournois de cuivre du Dauphiné frappés en 1608 sur le Moulin de Lyon aux armes du Dauphiné et avec la lettre Z de Grenoble (ci-dessous lot 3167). Cette fabrication entraîna parfois des mélanges de coins, d’où la présence de spécimens incongrus mais rarissimes (pièces hybrides).
Fermé en 1606, l’atelier de Grenoble ne rouvrit qu’en 1641 pour frapper de très rares monnaies d’or (écus) et d’argent parmi lesquelles un demi-franc au buste cuirassé (1ère émission) sur lequel le tailleur général Darmand Lorfelin, qui en a gravé les coins, a omis d’apposer la lettre d’atelier Z. Cette monnaie resta inconnue jusqu’en 1989 mais la publication d’un trésor en 1990 (Revue Numismatique 1990) et d’autres découvertes postérieures permettent d’en connaître aujourd’hui une dizaine ou douzaine d’exemplaires. Les quarts d’écu d’argent sont également rares, surtout ceux au millésime 1643, année de fermeture de l’atelier.
Rouvert de 1660 à 1662, après une tentative infructueuse en 1652-1653, l’atelier fabriqua alors quelques centaines de demi-écus d’argent non retrouvés à ce jour et plusieurs milliers de douzième d’écus d’argent dont la plupart furent exportés au Levant dans l’empire Ottoman. Un certain nombre de ces exemplaires est apparu sur le marché depuis les années 1970 suite à la découverte de trésors dans l’Europe danubienne où l’on a découvert des imitations frauduleuses. Après 40 ans de nouvelle fermeture depuis 1662, l’atelier rouvrit en 1702 pour la troisième réformation et après fermeture de nouveau en 1703, rouvrit pour la quatrième réformation en 1704.
On remarquera la très rare pièce de 5 sols 1702 et la série complète (écu, demi-écu, quart d’écu, douzième d’écu) de 1704. Le quart d’écu et le douzième d’écu sont très rares.
À l’occasion de la frappe de cette série, l’atelier de Grenoble ne reçut pas l’autorisation d’apposer les armes écartelées de France et du Dauphiné, comme cela avait été le cas en 1702 et comme ce fut le cas pour l’atelier de Pau avec les monnaies aux armes de France-Navarre et Béarn. Cependant, le Dauphin ne disparut pas des monnaies car le directeur de l’atelier, J.-P. Le Gay, l’avait pris pour différent personnel : il figure sous le buste des monnaies d’argent. Signalons aussi la présence du très rare louis d’or aux insignes sur lequel apparaît également le dauphin de Le Gay, après la légende (ci-contre lot 3179).
Le règne de Louis XIV se termine par un exemplaire du rare louis d’or au soleil, accompagné de la série d’argent dite «aux trois couronnes». Celle-ci est complète à l’exception du vingtième d’écu connu en un seul exemplaire. L’écu de 1709 montre au revers la rose du graveur Charles Hervé, mort tragiquement au printemps 1710, puis le colletin du graveur François Jaley, qui n’est pas un «tablier de forgeron» comme écrit autrefois par erreur.
Signalons la magnifique série de monnaies de Louis XV comprenant notamment quatre double louis au bandeau et un louis «mirliton» de la seconde émission (1724) ainsi qu’un très rare louis «chevalier» ou «à la croix chevalier», dénommé autrefois «à la croix de Malte» puis par erreur «à la croix du Saint-esprit» (ci-contre lot 3197).
Cette série montre plusieurs monnaies en flan neuf pour les séries qui furent réformées ainsi que le demi-écu de Navarre et les très rares pièces de la série d’argent de 1724-1725 dite aux 8 L (écu, demi-écu, et plus rare encore quart d’écu). Le collectionneur s’est attaché à rassembler un grand nombre d’exemplaires variés des séries aux branches d’olivier et au bandeau. Fermé en 1772, l’atelier de Grenoble ne frappa point les séries d’or et d’argent dites «à la vieille tête».
Différents sur les monnaies (à partir de Louis XIII) : ancre (Ferté, maître) ; pomme de pin (Baron, graveur) ; cœur (Simonet, graveur) ; croix (Thomas, commis) ; épine (Théodore Borlé, graveur) ; dauphin (Le Gay, directeur) ; rose (Hervé, graveur) ; deux dauphins (Amar, directeur) ; colletin (Jaley, graveur) ; lis épanoui (Jaley, graveur).
Références
1/ Pour les monnaies féodales, outre l’ouvrage de Morin et le Manuel de Numismatique française de Blanchet et Dieudonné, Tomes II et IV précités, on pourra se reporter aux ouvrages de F. Poey d’Avant (tome III, 1860) , de Boudeau (1907 et années suivantes), le supplément commercial de la Revue Aréthuse, Monnaies, médailles et jetons du Dauphiné [Chaper], J. Florange éditeur 1925, et enfin de Jean Duplessy ( tome II, 2010).
2/ Pour les monnaies royales, outre le Ciani de 1926 :
• avant le XVIe siècle : Lafaurie, tome I, 1951.
• XVIe siècle (Renaissance, François Ier à Henri IV) : Lafaurie et Prieur, Tome II, 1956 et Stéphan Sombart, FRANCIÆ IV, 1997.
• Henri IV : J. Bailhache, Courrier numismatique, n° 31 et 32 mars et juin 1933.
• Louis XIII : C. Charlet, Revue numismatique 1990.
• Louis XIV : C. Charlet, Revue numismatique, 1992, 1995 et 2015, BSFN 1990,1991, 1992 et avec J.-C. Bedel, 2012.
• Louis XIV et Louis XV (1709-1736) : C. Charlet et A. Clairand, Revue numismatique, 2015.
• Louis XV : baron Louis Chaurand, bulletin mensuel de l’académie delphinale, 1963. Les collections du baron Chaurand furent vendues par Beaussant Lefèvre, expert T. Parsy, Drouot, 10 et 11 avril 2012 (ancienne collection G. Vallier).
• On pourra également consulter le chapitre «Grenoble» du tome I de l’Encyclopédie Droulers, publié en 1989 avant les études commencées en 1990 (donc à actualiser).