Le comté de Flandre des origines à sa disparition (866-1795)

L’âge d’or du comté (XIVe – XVe siècles)

Par Stéphan SOMBART

[cet article est tiré du catalogue de notre Vente sur Offres iNumis 22 de juin 2013]

Constitution du Comté de Flandre

Au bord de la Mer du Nord, le comté de Flandre s’organise à l’époque médiévale autour de la ville de Bruges, port au rayonnement international. Il s’étend en Flandre flamande autour de Gand et d’Ypres avec une riche industrie drapière, ou encore d’Anvers. Au nord, le comté s’étend jusqu’à une petite région enclavée entre l’Escaut occidental et la Belgique, dans le sud de la province de Zélande. La Flandre française quant à elle s’étend de Dunkerque et la plaine de la Lys à Lille et Douai.

La «Flandre» ou encore les «Flamands» sont les deux termes qui recouvrent cette région d’une part et d’autre part tous les ressortissants de la région autour du cours inférieur de l’Escaut, du Rhin et de la Meuse. Par la suite, une généralisation du terme «flamand» se rapportera à tout ce qui a trait aux Pays-Bas, puis par la suite aux Pays-Bas méridionaux.

Les Baudoin (866-1128) sont les fondateurs de ce comté et aussi à l’origine de son développement. Au Xe siècle, il connaît un essor sans précédent. Il devient l’un des territoires les plus riches et les plus puissants de la région. Dirigeant cette zone traversée par la frontière de l’Escaut, le comte était un vassal important du roi de France, tout en devant également allégeance à l’Empereur du Saint-Empire romain germanique. Il s’attribue les droits monétaires dans la seconde moitié du Xe siècle (cf Vente sur Offres iNumis 8 n° 788-789, deniers de Saint-Omer d’Arnould II) tandis que les ateliers se développent : apparaissent Gand, Bruges, Arras, puis Lille, premier atelier dont on connaît une mention écrite, Ypres, etc.

Le développement des grandes villes, Bruges ou Gand, s’est manifesté par des revendications d’ordre politique, mouvement qui gagnera l’Europe par la suite. La bourgeoisie naissante exigea précocement la gestion des villes, en recourant parfois à des insurrections violentes, pour disposer des prélèvements fiscaux et exercer la justice. Ce mouvement d’émancipation donnait un statut aux communes, avec généralement un conseil composé d’échevins dirigés par un prévôt ou un mayeur.

En 1127, le nouveau comte Guillaume Cliton, afin de se faire accepter, promet d’accorder les premières franchises aux villes ainsi que l’abolition du tonlieu et du cens. Mais Guillaume ayant oublié ses promesses, les villes de Gand et de Bruges se révoltent, tout comme les habitants de la zone maritime. Le nouveau comte est tué au cours d’un siège. Les comtes de la maison d’Alsace règnent alors habilement jusqu’en 1180 en ménageant le patriciat des villes flamandes et en cadrant les libertés urbaines. Lors des dernières années de Philippe d’Alsace, la Flandre se trouve confrontée à la politique centralisatrice du Roi de France. De plus en plus, les hostilités entre le comte de Flandre et le Roi de France sont continuelles.

La fin du XIIIe et le début du XIVe siècles voient s’amorcer un déclin économique tandis que les ambitions royales progressent. L’avènement du roi de France Philippe VI de Valois en 1328 a d’autres conséquences sur le comté : la Flandre va être le théâtre, dès 1337, des prémices et des débuts de la Guerre de Cent Ans. Le comte rejoint les rangs des rois français mais s’oppose aux intérêts anglophiles des Flamands, vu leur extrême dépendance envers l’importation de laine anglaise. Les corporations de Gand tentent de préserver les relations commerciales avec l’Angleterre tout en évitant un conflit avec la France avec un relatif succès. En 1340, la Flandre est le théâtre de la première grande bataille franco-anglaise à l’Écluse, près de Bruges. Le comte Louis de Nevers (1322-1346) signera un original traité monétaire avec Jean Ier de Namur (cf Vente sur Offres iNumis 8 n° 796, gros de convention). Par la suite, il introduit aussi la monnaie d’or dans le comté, ce qui fera la gloire de sa numismatique (Engel et Serrure p.1090). En 1343, fait important à noter, les monnaies d’or anglaises sont décriées et de nouvelles espèces apparaissent : nobles, demi-nobles et quarts de noble au nom d’Édouard III. Ces nobles sont aussi frappés à Gand, Ypres ou Bruges ce qui traduit les liens économiques très tenus avec l’Angleterre. En 1346, le comte périt à la bataille de Crécy et reçoit son surnom de Louis de Crécy par lequel il est le plus connu. Après cette bataille, la Guerre de Cent Ans se détourne du comté de Flandre.

 

Louis II dit Louis de Male


Le règne de Louis II (1346-1384), né Louis de Dampierre et dit «Louis de Male» voit la restauration de la confiance des Flamands envers leur dynaste. Le nouveau comte évite les pièges de l’alliance anglaise, tout en maintenant une coopération économique. La paix est signée avec l’Angleterre en 1348, les tisserands sont matés à Gand en 1349, la soumission au roi de France cesse d’être automatique. Malgré les ravages de la Peste noire en 1348, le comté connaît ses «trente glorieuses» avec le retour de la prospérité économique, la tranquillité politique et sociale et une réforme et modernisation des institutions du comté.

Le monnayage de Louis de Male traduit cette richesse et cette paix retrouvée. Sa série de pièces d’or est la plus belle et la plus riche de cette époque, après celle du Roi Philippe VI. Elle comprend la chaise à l’écu à l’aigle (avec demi et quart), le royal, le mouton (et demi), le franc à cheval, le lion heaumé [ci-contre, lot n° 678] (et petit lion heaumé), le vieil heaume (et tiers), le franc à pied et la nouvelle chaise à l’écu au lion.

Les dernières années de Louis de Male furent marquées par le retour sanglant des troubles. Face à la révolte dite des chaperons blancs, le comte fut obligé de faire appel à l’ost royal pour mater la révolte. Charles VI écrasa les révoltés, tandis que le prestige de la victoire revenait à Philippe le Hardi, qui commençait à asseoir son autorité sur le comté. Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, est en effet le mari de la comtesse Marguerite, fille de Louis II de Male. À la mort du comte, ils héritent du comté.

Progressivement, les ducs de Bourgogne de la Maison de Valois vont incorporer le comté de Flandre au sein de leurs vastes possessions. Ils forment ainsi un ensemble territorial qui outre la Flandre, regroupe bientôt, par mariages, confiscations ou héritages, une série de principautés féodales : les duchés de Brabant, de Limbourg, de Luxembourg et de Gueldre, les comtés d’Artois, de Hainaut, de Hollande, de Namur et de Zélande, les évêchés de Cambrai, de Liège, de Tournai et d’Utrecht, la seigneurie de Malines et les pays frisons. On y ajoute parfois les duchés de Clèves et de Juliers, la ville impériale d’Aix-la-Chapelle et l’archevêché de Cologne. Le jeu des alliances et des successions rassembla progressivement ces principautés, au départ indépendantes les unes des autres, pour constituer un territoire plus ou moins stable et homogène : ce sera l’État bourguignon, dont le processus d’unification débute avec Philippe le Hardi. Après avoir continué les types monétaires précédents (chaise d’or ci-dessous à gauche et gros botdraeger), Philippe le Hardi introduit rapidement des espèces à son seul nom, notamment le très joli double heaume d’or de 40 gros en 1386 [ci-dessous à droite].

En 1387, il réforme à nouveau la monnaie et crée une nouvelle série avec notamment un ange d’or tenant d’une part l’écu de Bourgogne et d’autre part l’écu de Flandre.

 à gauche lot n° 679 et à droite lot n° 680

 

L’évolution au comté aux XVe et XVIe siècle

Le petit-fils de Philippe le Hardi et de Marguerite, le duc Philippe le Bon (1419-1467) succéda à son père assassiné à Montereau. Jouant du faste de sa cour, il poursuit la politique d’unification de la région. En 1433, il crée pour ses provinces un système monétaire uniforme : l’aspect général est le même pour les espèces, seuls le nom de la province et quelques signes particuliers permettront de les distinguer. Ce système comprend pour l’or le cavalier (et demi) avec indication de la province : FLAD (Vente sur Offres iNumis 18 n° 852), BRAB (Vente sur Offres iNumis 16 n° 1485), HOLD (Vente sur Offres iNumis 2 n° 1275) ou HANN (Vente sur Offres iNumis 12 n° 943). Le comte promet aux Flamands de ne plus changer la monnaie pendant 20 ans, mais, dès le délai écoulé, crée une nouvelle dénomination avec le lion et ses divisions, le lionceau (ci-contre lot n° 681) et le tiers de lion.
En 1466, il ajoute au système le florin d’or au Saint-André (et demi) ainsi que de nouvelles espèces d’argent, mais ces dénominations sont rares, le duc meurt en effet en 1467.

À la tête d’un véritable État centralisé, les ducs de Bourgogne ont mené au XVe siècle une politique patrimoniale indépendante avec une sorte d’idée qui semblait être la reconstitution de l’ancienne Lotharingie entre le royaume de France et le Saint-Empire. Cette idée est finalement ruinée par l’ambition démesurée de Charles le Téméraire (1467-1477) et sa mort, sous les murs de Nancy, qu’il tentait de ravir au duc René II de Lorraine, le 5 janvier 1477, met fin au rêve bourguignon. [ci-dessus Flandre (comté de), Charles le Téméraire, Florin d’or de Bourgogne au Saint-André, s.d. (1474-1477) Bruges – Flandre (comté de), Charles le Téméraire, demi-florin d’or de Bourgogne au Saint-André, s.d. (1467-1474) Bruges]

La mort soudaine du Téméraire permet à Louis XI de s’emparer de l’Artois et de la Bourgogne. Ses troupes pénètrent en Hainaut et menacent directement la Flandre. La fille du Téméraire, Marie de Bourgogne, porte l’héritage du duc dans la maison de Habsbourg, avec son mariage hâtif avec Maximilien d’Autriche. L’archiduc contient l’avance française dans des conditions économiques très difficiles qui ne sont pas résolues par la mort accidentelle de Marie en 1482. Suite à ce décès, Maximilien et Louis XI signent le Traité d’Arras qui reconnaît l’Artois à la France mais maintient la Flandre comme comté.

Le fils de Marie et de Maximilien, Philippe le Beau devient comte de Flandre en 1483, titre qu’il transmettra à son fils Charles Quint en 1506 et par lui aux Habsbourg d’Espagne puis d’Autriche. La Flandre deviendra alors l’une des Dix-sept Provinces (terme actuel Pays-Bas), tandis que le Traité de Madrid de 1526 abolit la vassalité du comté vis-à-vis de la France. Intégrée aux Pays-Bas méridionaux à la fi n du XVIe siècle qui voient les Pays-Bas se déchirer entre les Provinces-Unies, calvinistes, au nord et les Pays-Bas méridionaux, catholiques, au sud, la Flandre retrouve au XVIIe siècle son rôle de région tampon. D’un côté les Provinces-Unies, de l’autre les ambitions françaises, notamment après la Paix des Pyrénées de 1659. La Flandre va subir les guerres incessantes de la fi n du XVIIe siècle, Louis XIV grignotant petit à petit le sud du comté. L’administration royale crée alors la Province de Flandre mais l’histoire de la Flandre n’est pas encore achevée. Après moult rebondissements lors du XVIIIe siècle, le comté repasse à plusieurs reprises entre la France et l’Autriche. En 1790, il intègre les États de Belgique Unis lors de la révolte brabançonne. Il est enfin définitivement scindé en deux départements en 1795.

La monnaie en Flandre a récemment fait l’objet d’un numéro de la Revue du Nord, numéro se polarisant néanmoins sur les XVIIe et XIXe siècle (tome 96, n° 406, juillet-septembre 2014).